Fermer
Activités \ Improvisation

Erwan Keravec solo

Jouer en solo est quelque chose qui s’est imposé à moi.
La cornemuse écossaise étant un instrument, historiquement, de soliste. Il était alors logique que j’essaie…

J’ai d’abord voulu m’éloigner de la musique traditionnelle, puis reconnu qu’il fallait que moi-même je me déplace avant de la transposer sur l’instrument.

 

le premier « Urban Pipes » était cette volonté de créer cet éloignement en recherchant des sons périphériques et en m’imposant des cadres d’écriture.

En travaillant « Urban Pipes II », j’ai admis mon incapacité à atteindre ce but car ma culture originelle, la tradition sonnée en Bretagne, m’influence même quand je cherche à m’en extraire. J’ai choisi de l’assumer et d’affirmer ce qui, pour moi, la caractérise : la projection du son, sa densité, l’énergie du sonneur, la mélodie. Tout en gardant ce qui symbolisait le travail du premier opus : « une modification de modes jeux traditionnels, un travail sur l’utilisation sonore de la cornemuse et son étrangeté harmonique, quittant la pratique strictement mélodique. » Urban Pipes II est né de cette dualité, pour imaginer une musique qui joue ou se joue de la mélodie, oscille du plein jeu au son éolien, furieuse puis apaisante…

Whitewater est un retour au son « plein » de l’instrument. Pour les 2 premières pièces, il n’y a pas de travail périphérique de son, j’utilise le son habituel de l’instrument. C’est la forme qui m’a intéressé. J’ai voulu travailler sur du flux continu où chaque scène est constituée de composante de la précédente et de la suivante. Jusqu’à ce que la suivante devienne le sujet. Un fil musical qu’on peut suivre comme un fil de pensée. La durée de chaque pièce donne de le temps nécessaire au son pour prendre toute la place et se développer.
Il fallait quand même un contrepied ! Leeshore, la dernière pièce est un empilement de bourdons sur le quel de pose un sur-aigu scandé mais retenu. L’ensemble est une zone de trouble mais calme, comme la fin d’un tempête dont on ressent encore la puissance sans la vivre.

Commençant dans les bourdons de la cornemuse, Keravec lance le mouvement de chaque pièce en introduisant de petites différences et des textures modifiées, dont chacune devient un point focal jusqu’à ce que des changements progressifs la remplacent par quelque chose de nouveau. Les formes se construisent et les rythmes se déplacent tandis que la pièce se déroule ; chaque passage contient la graine du suivant. Les sons vont de profonds bourdonnements multiphoniques et de grincements à des hurlements et des sirènes, ponctués de hululements, de gémissements et de bips férocement saccadés. La durée est essentielle : la plus courte des trois pièces dure plus de six minutes, mais la monumentale « Increase the flow rate » approche les 18.

The Wire, Jan 26

Après avoir exploré toutes les facettes de la musique bretonne traditionnelle, puis tous ses liens possibles avec la musique contemporaine, Erwan Keravec propose une approche plus intime de l’instrument — ici, du moins, une approche contemplative.
Whitewater baigne dans une atmosphère aquatique, dans une veine qui alterne entre courants tourbillonnants et moments méditatifs. Le titre « whitewater », signifiant « eaux vives », reflète cet état d’esprit

France Musique, Arnaud Merlin, dec 2025

« Whitewater », nouvelle oeuvre de Erwan Keravec, court littéralement comme une rivière rapide, au bouillonnement intense. Ce disque, radical mais d’une beauté à couper le souffle, vient percuter des habitudes d’écoute devenues dramatiquement conformistes.

Il faut suivre cette cornemuse, se laisser porter peu à peu par son flot inouï, sa vitesse hypnotique, et comprendre qu’elle est une expérience intérieure. Qu’elle finit par se connecter à son propre chaos, et qu’elle le canalise avec une fulgurance bouleversante.

C’est extrême, aux confins de la musique et de fluctuations magnétiques sidérantes. Ce continuum est pourtant riche de nuances presque infinies, d’une infinité d’éléments sonores qui tous semblent ordonnés. Cela crée un mouvement qui happe jusqu’à la contemplation.

Une sorte de paix en soi, sans jamais retrancher la vivacité folle de cette musique. Et c’est là toute la grandeur de « Whitewater ». Il embrasse et emporte toutes les tempêtes, traverse toutes les anfractuosités, faisant des accidents une force, de la vitesse une alliée. Dans sa course, il mute et devient calme, comme un accomplissement. En ayant fait des obstacles et des turbulences, des points d’appui pour avancer.

On est captivé depuis longtemps par l’univers d’Erwan Keravec. « Whitewater » ne va pas arranger cette fascination profonde pour une musique où tous les contraires fonctionnent ensemble. Où les mouvements incessants et les tensions intimes créent une esthétique époustouflante et cohérente.

indiepoprock, Yan Kouton, dec 2025

Erwan Keravec traite l’improvisation en plasticien du son, comme on traiterait les valeurs de noir d’un monochrome par le striage, le rythme et l’accroche de la lumière.

Jazz Magazine (mai 2011)

Voici une belle expérience, et qui prouve une fois de plus que la musique est une affaire d’ouverture et de croisements. Et cela nous vient de Bretagne, la musique celtique ayant cultivée depuis des années l’art des hybridations et des tentatives en tous genres pour élargir son horizon, sans jamais y perdre son identité, bien au contraire.
…/…
Il s’avère intéressant de découvrir la cornemuse dans de tels contextes, si peu courants. On connaissait le goût de Erwan K. pour les aventures en tous genres, entre sa participation aux Niou Bardophones, au goût de free, ses duos avec guitares électriques ou trompettes et anches et son espoir de voir la cornemuse croiser la route d’autres instruments, d’autres formes musicales que traditionnelles, son désir d’ouverture. Avec le choix, ici, de la laisser pure, sans traitements électroniques, au plus près de l’instruments.
Un très bel essai, sobre, à la maitrise évidente, non dénué de virtuosité, et présenté avec beaucoup de simplicité.

Revue et Corrigé (juin 2012)

Non, ceci n’est pas une cornemuse. Ou plutôt, n’est plus une cornemuse. Certes, Erwan Keravec joue de l’instrument traditionnel d’origine écossaise adapté au kan ha diskan et à la gwerz, les chants fondamentaux de la musique bretonne. Ou plutôt, il a joué de la tradition bretonne. Mais depuis, le musicien pousse le bourdon un peu plus loin, en commençant notamment ce saut dans l’inconnu, l’improvisation à haut risque. Erwan veut décontextualiser, déraciner son outil de sa connotation locale, de son esthétique convenue pour le projeter dans l’absolu, en se lançant dans un imaginaire improbable. Un désir qui peut en désarçonner beaucoup, tous ceux qui sont à cheval sur les règles de la sonnerie traditionnelle. Cette tradition qui, souvent bien exécutée, donne le tournis. Eh bien, le jeu décoiffant d’Erwan, lui aussi fait tourner la tête.

Akhaba.com